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Le « Abdelkader Harichane Code » de son dernier roman, « l’Aveugle »

 

Abdelkader Harichane, dans l’insoutenable « quête » de « l’Aveugle », nous emmène dans une recherche de l’Absolu, de la station finale.

Comme « l’Alchimiste » de Paulo Cuelho, « l’Aveugle » de Abdelkader Harichane est une quête. Mais une quête terrible.

« Mon père me céda à un aveugle. Il me présenta au non-voyant par ces simples mots : « Tu pars avec oncle Ahmed. Il t’assurera gîte et nourriture. En contrepartie, tu seras ses yeux, tu lui dois respect et obéissance ». J’ai vite compris que mon père, à défaut de ne pouvoir subvenir à nos besoins, m’avait renié ».

Abdelkader Harichane, un narrateur né

C’est de la sorte que l’auteur débute son roman. Et on est à peine à la première surprise. Car des surprises, il y en aura, tout au long de ce roman captivant.

« La guerre battait son plein ; l’OAS occupait le devant de la scène macabre. L’école avait fermé ses portes. Nous étions une charge pour les parents. Nous déambulions dans les rues étroites de notre bourg sans perspectives. Je pensais d’abord que ma mission consistait à guider oncle Ahmed à travers le bourg que je connaissais comme ma poche. Mais grande fut ma surprise quand il m’annonça notre destination.

« Oncle Ahmed me prit par le collet et me dit : « Viens, nous allons à Alger ». A vrai dire, je ne faisais pas la différence entre Alger et la France. Dans mon esprit, c’était pareil ; des régions lointaines où les gens mangent du pain beurré. Je me sentis comme abandonné, trahi, dirais-je, parce que mon père ne m’avait, à aucun moment, montré son animosité, ni mis en évidence des différences entre moi et mes frères. Le choix est tombé sur moi qui était de nature soumise et obéissante. Je ne sais si mon père avait négocié son offre mais je sentis comme une déchirure qui n’allait pas se cicatriser de sitôt ».

Un style, une verve

Avant d’être capté par l’intrigue du narrateur, je le fus par le style, la mise en forme. Je fus presque heureux de me réconcilier avec le journalisme. Car j’en retrouvais un, enfin, flamboyant et altier. Un style, une forme, une audace dans l’écriture, une décence dans les mots. L’ancienne école dans toute sa splendeur.

Tournures de style, figures de rhétorique, métaphores et paraboles peuplent le roman de Abdelkader Harichane.

Comme il a fait honneur à la langue arabe, Abdelkader Harichane fait également honneur à la langue de Proust, Gide et Louis-Ferdinand Céline. Il a toujours été un des très rares journalistes à écrire avec un égal bonheur dans les deux langues. Il n’y en a pas plus de cinq à ma connaissance dans toute l’Algérie.

Lisez ceci Abdelkader  Harichane qui dit:

« Le train était presque vide. Il me tenait tout le temps par le collet, d’une poigne ferme, comme s’il craignait que je me sauvasse ».

Cela fait longtemps que je n’ai lu de verbe conjugué à l’imparfait du subjonctif. En lisant, je me faisais plaisir. Je ricanais tout bas en pensant avoir enfin, fui la laideur des experts des: « y a pas de soucis », « au final », « du coup » et autres prêt-à-porter linguistique de bas étage.

Abdelkader Harichane a choisi un art difficile, mais qui lui fait honneur.

La mode (la médiocrité, pour être précis) des écrivains et parajournalistes aujourd’hui, c’est de surcharger leurs textes avec des approximations de type « du coup », des fourre-tout à la Prévert qui veulent tout dire rien dire. Des textes squelettiques, une narration rachitique, un style imprécis, une écriture lourde, une faillite langagière et intellectuelle qu’ils nous présente dans chaque librairie, sur chaque plateau de télévision, une forme d’agression qui blesse les yeux et les oreilles, qui nous a désespérer de trouver un seul livre qu’on peut lire sans grincer des dents.

Pour tout cela, il faut lire Abdelkader Harichane : le livre se lit d’un seul trait, tant il semble être fait d’une seule coulée.

Sagesse et quête obscure

Le livre est également un livre de sagesse. Droit comme un juriste-consul, l’auteur égrène les sentences : « dans la guerre, il faut choisir son camp » ; « il n’y a rien de plus tragique qu’une femme qui n’a pas honte » ; « les gens ne pourront plus tricher devant l’Eternel : chacun tiendra son dossier sous le bras et attendra son tour  » ; « la cécité est un don de dieu », etc.

Harichane a toujours fait honneur au métier de journaliste, car il s’agit d’un journaliste de métier par excellence, en premier lieu. Même loin de la presse écrite (je prends acte de son retrait d’ascète par suite du délabrement et de la « clochardisation » du milieu journalistique), il a continué à écrire. Dix livres, au moins. Même lors de la pandémie du coronavirus. Surtout pendant le confinement.

Harichane s’endort chaque soir le clavier à portée de main. On ne sait ce qui lui vient à l’esprit et qu’il faut aussitôt noter.

Du « Fis et le Pouvoir » à « l’Aveugle », le chemin a été long. Il a fait siens les difficiles choix de la vie. Et il les a assumés. Avec panache et brio. Le nez dans les étoiles et la fierté en bandoulière.

Difficile était le souhait de faire une note de lecture sur ce livre sidérant. La critique facile devant un art difficile, voilà où ne doit pas se situer un critique littéraire.

L’Aveugle illuminé

Tout au long de 190 pages, Abdelkader Harichane nous tient en haleine. La quête de l’Aveugle, qui « tient en laisse » l’enfant nous laisse perplexe. Devenu adulte, le « Guide » croit comprendre, mais il n’en fut rien. Il n’a rien compris. Et quand l’Aveugle lui fait les derniers aveux, on ne sait pas si ce sont des aveux ou -encore- des mensonges.

D’ailleurs même l’auteur s’en fiche. En apprenant l’assassinat de Hizia, il reste de marbre. Là, nous, lecteurs avertis, pourtant, on nage dans le flou artistique. Où est la réalité et où est le mensonge ? Quelle est la part de la fiction et celle de la vérité dans ce roman déroutant ?

Et si Abdelkader Harichane était tout simplement en train de nous mener en bateau ?

L’Aveugle, un roman captivant, déroutant. A lire. Absolument.

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