HomeIdentité et culture« Laissez-moi vous rejoindre », d'Amina Damerdji

« Laissez-moi vous rejoindre », d’Amina Damerdji

   Elle s’appelle Amina Damerdji, c’est une Algérienne, et son travail consiste à vous produire des romans de qualité. Et elle le fait dans la veine des grands romanciers. 

Son dernier roman, « Laissez-moi vous rejoindre », est fait d’une même coulée et se lit goulûment. L’histoire, la romance, le long souffle du romancier vous brasseront près de trois décennies dans une Cuba révolutionnaire, celle de Castro et Guevara. Une troisième héroïne a fait pourtant partie de cette histoire de Cuba, très peu connue de la nouvelle génération. Et c’est cette héroïne qu’Amina Damerdji va vous conter. Son nom : Haydée Santamaría.

Djalia.dz a lu pour vous  « Laissez-moi vous rejoindre », un livre qui ait partie des œuvres littéraires engagées. L’auteure en est Amina Damerdji, une Algérienne, et c’est déjà une fierté d’avoir, encore une fois, un nom algérien qui se place en « ès qualité » dans le très fermé cercle des auteurs en France.

 

Une auteur qui promet
Amina Damerdji, une auteure qui promet de bien meilleures œuvres.

« Laissez-moi vous rejoindre » (Collection Blanche, Gallimard, 2021, 320 pages) séduit déjà par son titre, déjà curieux, et qui pousse à découvrir où et qui rejoindre. En fait, il s’agit de l’histoire de Haydée Santamaría Cuadrado, une révolutionnaire cubaine moins connue que Fidel Castro ou Che Guevara, mais qui est une des figures emblématiques de la guérilla cubaine qui a fait tomber la dictature de Fulgencio Batista.

C’est donc l’histoire réelle d’une femme écrite de manière romancée et imagée par une autre femme. Le choix est difficile, mais apparemment Amina Damedji aime les coups de forces, les défis, et s’en régale même. J’avoue que pour cerner cette figure de proue de la grande Révolution cubaine, il m’a fallu me documenter plus pour me maintenir à la hauteur du livre, qui dès le début a placé la haut la barre.

Du titre, j’en ai déduit une histoire à l’eau de rose, celle d’une femme qui souhaitait rejoindre son homme; mal m’en a pris, car dès qu’on passe les premières pages, qui racontent la vie de la jeune femme et son quotidien chez ses parents à Encrucijada, ce petit village ­cubain au milieu des champs, au seuil des années 1950, on est immédiatement happé par la grande histoire, celle de la Cuba en Révolution.

 

Un destin hors du commun
Haydée Santamarie revient à la vie par un tour de passe-passe de Damerdji.

Destins croisés

Autre curiosité, l’époque de la Révolution cubaine est presque synchronisée sur celle de la Révolution algérienne. En 1953 Haydée Santamaría donne le coup d’envoi de la Révolution avec un grand coup de force : l’attaque contre la caserne de Moncada, à Santiago de Cuba, le 26 juillet 1953. L’année d’après, un 1er Novembre, les « Fils de la Toussaint » donnent celui qui allait aboutir, en 1962, à l’indépendance de l’Algérie, après 132 années de colonisation française.

Le roman vous plonge donc, de manière magistrale, dans le climat de Haydée Santamaría et sa participation, le 26 juillet 1953, à l’attaque contre la caserne de Moncada, en 1953, action pour laquelle elle a été incarcérée avec Melba Hernández, une autre héroïne du roman. L’action est le fait de Fidel Castro et d’autres membres des « Jeunesses orthodoxes ».

L’héroïne du livre, Haydée a la responsabilité de transporter les armes jusqu’à Santiago de Cuba en prévision de l’attaque. Après l’échec de cette opération, Haydée est emprisonnée, tandis que son frère Abel et le compagnon d’Haydée, Boris Luis Santacoloma, meurent sous la torture des militaires.

Le roman d’Amina Damerdji vous incitera au moins à chercher à connaitre son héroïne de plus près: Haydée Santamaría née le 30 décembre 1923 à Cuba, est une guérira et une personnalité de la révolution cubaine de 1959. Elle fonde ensuite puis dirige la Casa de las Américas, organisme culturel d’État. Elle se suicide le 28 juillet 1980, à La Havane.

Tiens, tiens, tiens. Elle se suicide. On s’approche du titre. « Je ne peux pas dire que nous ayons pris les armes pour ça. Bien sûr que nous voulions un changement. Mais nous n’avions qu’une silhouette vague sur la rétine. Pas cette dame en manteau rouge, pas une révolution socialiste. C’est seulement après, bien après que, pour moi en tout cas, la silhouette s’est précisée. »

Haydée Santamaria revit grâce à l'histoire romancé de Damerdji.
Damerdji, une œuvre qui fera date.

La lente descente aux « enfers psychologiques »

On est à Cuba, juillet 1980. En cette veille de fête nationale, Haydée Santamaría, revit son passé; elle plonge dans ses souvenirs. À quelques heures de son suicide, elle raconte sa jeunesse, en particulier les années 1951-1953, les années d’illusion, de prison, de douleurs et de joies, du don de soi, la générosité jamais démentie et la sincérité dans l’action; elle vit dans la peine et le chagrin l’exécution de son frère Abel, après l’échec de l’attaque de la caserne de la Moncada.

Haydée Santamaría (1923-1980), devenue la seule femme à avoir accédé au Comité central, revient avec nostalgie sur ces années de lutte contre le pouvoir de Batista : « N’oubliez pas que ces hommes que notre jeunesse découvre dans ses manuels, moi, je les ai aimés », lui fait dire Amina Damerdji, qui livre un tableau saisissant de cette femme admirable de courage dans son premier roman, « Laissez-moi vous rejoindre ».

Les blessures de la Moncada ne se sont jamais vraiment cicatrisées, Haydée a descendu les dangereuses marches d’escalier d’un passé toujours présent. Quelques mois avant son suicide, Haydée Santamaria avait échappé de peu à la mort lors d’un accident de voiture, aggravant encore plus l’intensité de son ressenti psychologique. Elle pense, à la fin du livre à Abel, à Raul, à Boris, au Che, elle envie leur absence, elle veut les rejoindre : « Avez-vous passé la barrière de l’horizon? L’océan vous a-t-il engloutis? Pour moi aussi le moment est venu. Laissez-moi. Laissez-moi vous rejoindre ». Le titre est enfin, à la dernière ligne du roman, justifiée et expliqué.

Amina Damerdji a choix la littérature engagée pour se présenter; elle a fait le choix difficile, alors que le roman poétique et les frémissements sentimentaux s’imposaient dans les romans des autres femmes auteures francophones. Plusieurs « coups » forcent l’admiration dans cette œuvre. L’auteure et son héroïne finissent par se confondre.

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